Souffrance au travailet Nouveau Management Public

L’expression « nouveau management public » (NMP), désigne, selon la définition usuelle, l’application au secteur public des méthodes de gestion du secteur privé. Le NMP se caractérise par la dictature du changement perpétuel comme un nouvel instrument de soumission, une véritable féodalité managériale qui est l’objectif du Ministère de la Transformation et de la Fonction Publique.

Le terme management fait étymologiquement clairement référence au manège à cheval, outil de soumission à l’autorité sans le moindre sens, parce que cette obéissance est le but et non le moyen de ce type de management. Alors que le pilotage d’une activité d’encadrement consiste à favoriser la réalisation de ce qu’il peut être fait de mieux pour contribuer à l’obtention d’un résultat, à l’inverse le nouveau management public pourrait se définir comme faire faire à autrui ce qu’on veut qu’il fasse, non pas ce qui est utile ou pertinent.

Le management moderne s’inscrit dans la lignée de l’organisation scientifique déshumanisée du travail théorisée par Taylor en 1911 dont la réflexion s’est poursuivie et s’est enrichie durant les douze ans du IIIe Reich, matrice de la théorie et de la pratique du management pour l’après-guerre promue par l’ancien général SS Reinhard Höhn.

Le sens de ce changement suit trois axes constants : la révision des procédures, le primat de la performance et la mise en concurrence.

La révision des procédures vise à la prolétarisation des salariés, par un asservissement via la dépossession du savoir et de toutes formes de pouvoir. Cette double dépossession dans l’Education Nationale est protéiforme. D’abord, c’est le projet du gouvernement Attal intitulé « Choc des savoirs » qui détourne le savoir-concevoir ingénieux en mettant fin à la liberté pédagogique, avec de nouveaux programmes, des méthodes, des manuels labellisés et des progressions communes imposés. Ensuite, c’est l’institution du déni de l’expertise professionnelle des enseignants par l’obligation d’évaluations nationales standardisées à tous les niveaux. Enfin, c’est la promotion de l’école du numérique qui rend l’enseignant dépendant d’outils technologiques le soumettant à un véritable techno-féodalisme.

Le primat de la performance est basé entre autres sur une culture du résultat, avec dans l’Education Nationale, l’outil de contrôle des évaluations nationales. Celles-ci sont officiellement un baromètre du niveau des élèves à un instant donné de l’année mais servent surtout comme outil de contrôle des performances des enseignants. Ainsi, devant de mauvais résultats de leurs élèves aux évaluations nationales, certains enseignants se voient imposer au mieux des animations pédagogiques ciblées au pire une visite de CPC afin que leur soit notifiées les procédures à suivre pour améliorer les résultats, visite qu’ils ne peuvent refuser sous peine d’inspection.

La mise en concurrence se fonde sur la comparaison aux résultats des évaluations nationales entre écoles et enseignants. Pour cela, l’individualisation est recherchée avec la rémunération au mérite, la promotion selon les compétences personnelles, la personnalisation du parcours (postes à profil au mouvement POP) et l’isolement en coupant les enseignants du collectif, donc des syndicats. De cette individualisation, avec le déport de la responsabilité sur l’individu, naît la psychologisation. Si vous n’y arrivez pas, c’est de votre faute et le recours au psychologue du travail avec la possibilité de licenciement pour insuffisance professionnelle alors que la mission donnée est par essence impossible à remplir. Il est impossible de faire de la différenciation pédagogique dans une classe à 29 ou simplement d’enseigner avec des élèves ingérables alors que cela relève d’un manque de moyens humains et financiers et d’une inclusion forcée qui est souvent une maltraitance institutionnelle des élèves inclus.

Dans la fonction publique, le NMP avec la révision des procédures, le primat de la performance et la mise en concurrence est de façon général un échec car il conduit les enseignants respectivement à concentrer l’apprentissage sur ce qui va être évalué et non sur les domaines essentiels au développement de l’enfant et du citoyen, à travailler pour la note, pour l’intérêt individuel et non collectif ce qui aboutit à une fraude de presque tous les acteurs du système, sans amélioration notable de celui-ci. Donc dans les faits, les résultats s’améliorent, tandis que le niveau continue de baisser.

C’est tout le paradoxe du NMP qui fait le contraire de ce qu’il dit (l’école de la confiance de Blanquer, choc des savoirs), et cela nous donne une clef de résistance et de combat, dissocie constamment le discours et l’action, et accentue la dissonance cognitive génératrice de souffrance parfois invisible, ce qui conduit beaucoup à démissionner. Jamais il n’y a eu autant de démissions d’enseignants que sous la Macronie. Même si elles restent marginales, celles-ci ont été multipliées par 4 en 10 ans, au point que cette tendance inquiète le Sénat dans un rapport sénatorial annexé au budget 2024. Durant l’année scolaire 2021-2022, 2 836 départs d’enseignants ont été recensés, contre 364 en 2008-2009, soit une augmentation de près de 700 %.

Le NMP relève de cette continuité historique des mécanismes structurels qui ont permis au nazisme de prendre racine et ceux qui se réalisent aujourd’hui à travers le néolibéralisme et ses incantations politiques comme l’extrême-centre Macroniste, véritable poison français, sont un réel marche-pied de l’extrême-droite, comme le confirme les résultats des dernières élections européennes, législatives et étasuniennes.

Sources :

– Bechtold-Rognon Evelyne, Pourquoi joindre l’inutile au désagréable ? En finir avec le nouveau management public, Les éditions de l’atelier, 2018.
– Chapoutot Johann, Libres d’obéir. Le Management du nazisme à aujourd’hui, Gallimard, 2020.
– Durand Cédric, Technoféodalisme : critique de l’économie numérique, La Découverte, 2020.
– Graeber David, Bullshit jobs, 2018.
– Grimaud Frédéric, Enseignants : les nouveaux prolétaires. Le taylorisme à l’école, ESF Sciences Humaines, 2024.
– https://www.senat.fr/fileadmin/Commissions/Finances/2023-2024/Essentiels/Essentiel_Enseignement_scolaire_2024.pdf
– Le Pors Anicet et Aschieri Gérard, La fonction publique du XXIe siècle, Les éditions de l’atelier, 2015.
– Linhart Danièle, La comédie humaine du travail. De la déshumanisation taylorienne à la sur-humanisation managériale, Erès, 2015.
– Loi n° 2019-828 du 6 août 2019 de transformation de la fonction publique
– Serna Pierre, L’extrême-centre ou ce poison français, 1789-2019, Champ Vallon, 2019
– Stiegler Bernard, Bifurquer. Il n’y a pas d’alternative, Les Liens qui Libèrent, 2020.

Souffrance au travail et Nouveau Management Public

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